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Le Chineur, novembre 2004

Chics et coquines, les pin-up de Brenot, texte de Dominique Jacquemin

En plus de 50 années d'activité, Pierre-Laurent Brenot aura dessiné plus de 10 000 pin-up pour la publicité. Mais son champ d'activité ne se réduit pas qu'à la publicité. Le père des pin-up françaises est un artiste peintre de formation ; il a longtemps collaboré avec de grands magasins de mode et de célèbres couturiers, réalisé des affiches de cinéma, illustré des articles pour des magazines de mode, croqué les femmes dans les cabarets. Tout cela avec le chic très parisien des années cinquante : même coquines, les pin-up de Brenot ne sont jamais vulgaires, car il les aime...

Pierre-Laurent Brenot, Raymond de son premier prénom, né le 8 juillet 1913 à Paris dans le 14e arrondissement, est l'unique enfant d'un couple déjà âgé. C'est en observant les peintres d'aquarelle dans les jardins publics que viendra l'amour du dessin. Comprenant sa passion, ses parents l'inscrivent dans un cours de dessin du soir organisé par la Ville de Paris. Mais pendant un an, l'enfant ne dessine que des traits, des boulons et des écrous. Mal renseignés, ces parents l'avaient placé par erreur dans une section de dessin industriel... son véritable apprentissage commence avec un excellent professeur Fernand Hertenberger. Avec lui, il dessine et moule des nues. « On recommençait 400 fois s'il le fallait, raconte Pierre-Laurent Brenot. Combien de fois ai-je pu dessiner la Vénus de Milo ou l'Esclave de Michel-Ange ! » Il a 13 ans quand il vend son premier tableau. Alors qu'il peint des aquarelles sur le motif dans un jardin, une femme lui demande de peindre sa maison, qui est en face. Deux jours au plus tard, il rend son dessin à la propriétaire ravie et récolte 5 francs. « Cent sous pour un môme, c'était une somme, raconta Brenot plus tard. Ce fut ma première cliente »... Pierre-Laurent Brenot rentre à l'école Estienne ; ses parents veulent qu'il apprenne le métier de graveur et non qu'il fasse les Beaux-Arts, car sa mère craint qu'il attrape des maladies par le biais des modèles de l'atelier, souvent des prostituées.

La pin-up coquine, mais jamais vulgaire
Les études ne lui plaisent pas vraiment : on y pratique peu le dessin, mais il apprend la gravure. Cependant, il continue de suivre le soir les cours d'Hertenberger qui exige de dessiner des personnages en commençant par les pieds. Un excellent apprentissage dans le dessinateur se souviendra. En 1933, après avoir été graveur, dessinateur industriel et dessinateur en lettres, il en vend ses trois premières pin-up 150 francs dans un magasin des grands boulevards, spécialisé dans les vitrines étranges et tapageuses. Un an plus tard, on trouve ses premiers dessins de mode dans la presse, illustrant un article de « Miroir du monde » consacré à l'évolution de la mode. Ils représentent un couple élégant, des femmes en robe du soir dans une loge de théâtre en tenue de soirée. Il a vingt ans. La « patte » Brenot est née. Il devient un des spécialistes du croquis de mode de chez « fashionable » un magasin où il sera styliste pendant neuf ans. Il s'installe rue de la Paix, c'est la période la plus folle de sa vie de jeune dessinateur. Peu à peu, Brenot s'ouvre aux illustrations publicitaires, aux affiches, au dessin de cabaret (voir : « ses activités »). Avec le Gruau, avec qui il entretient des liens amicaux et travaille dans les mêmes maisons de couture ou revues, il devient l'illustrateur incontournable du dessin de charme pour les magazines de mode et de publicité de presse. C'est la belle époque pour la lingerie féminine qui se débride dans les années 50 et 60. Grâce à des revues comme « Plair », le talent de Brenot se confirme, s'épanouit. Il peut se permettre toutes les audaces graphiques, jouant du fusain, du pastel, de l'aquarelle, de la peinture à l'huile, à la brosse, au couteau, qui mettent en valeur les modèles de couturiers parisiens à travers la grâce des corps et des visages féminins. Mais si cette créature à l'œil coquin est à demi nue pour enfiler sa gaine ou ses bas, le « père de la pin-up française » baptisée ainsi par les journalistes, ne la veut pas vulgaire. Brenot la prend par la main pour la conduire aux Champs-Élysées, et lui donne avant tout l'esprit de Paris. « En quelques traits, quelques touches, il nous offre une femme que l'on croit pouvoir aborder et sortir, écrit Jacques Lanzmann, écrivain et parolier de Jacques Dutronc dans les années 70. Au premier contact, elle semble consentante... détrompons-nous. La pin-up de Brenot ne se laisse pas embarquer aussi facilement qu'il n'y paraît. Elle est faite pour être désirée, non touchée. À la fois irréelle et pourtant réelle, la femme de Brenot est la femme de personne, est la femme de tout le monde. Autrement dit, elle est la femme idéale pour les fantasmes qu'elle procure... ». On comprend que de nombreuses femmes célèbres posent pour l'artiste : Line Renaud pour le Casino de Paris, Brigitte Bardot, Martine Carol, Françoise Fabian, Pascale Petit, Anouk Aimé, France Anglade et bien d'autres. Depuis 1942, jusqu'en 1998, date de sa disparition, Brenot aura dessiné plus de 10 000 pin up dont la plus grande partie pour la publicité pendant les années 50 et 60.

Petite histoire des pin-up
Les pin-up sont nées en Amérique dans les années 1930, à une période ou le « vieux continent » n'était pas encore assez libéré pour les accepter sans être choqué. Ce nom issu du verbe « to pin » qui veut dire « épingler » semble logique pour des photos de demoiselles que l'on épingle au mur. À la fin de l'année 1944, l'arrivée des GIs en Europe change la donne : les soldats américains débarquent avec leurs collections de dessins de pin-up et font très vite des émules autour d'eux. En France, même si la représentation de ces jolies femmes vêtues du minimum n'est plus une nouveauté, elle reste limitée. Si Brenot a vendu sa première pin-up en 1933, il en dessine régulièrement qu'à partir de 1942. En 1946, le premier numéro du magazine Paris-Hollywood paraît. Il est le premier d'une longue série d'hebdomadaire ou de mensuel à publier des photos de charme. La pin-up devient l'un des symboles d'une après-guerre affamée de plaisir. En 1951, le très officiel département de l'information, qui dépend du ministère de l'Intérieur dénombre 21 organes de presse de charme et Pierre-Laurent Brenot est de ceux sur lesquels il faut compter puisqu'il en a inventé la version française. Il trouve son inspiration dans la Parisienne « bien fichue » qu'il croise dès ses débuts. Il la décliné par centaines dans toutes les tenues... son œuvre est gaie, c'est le reflet de la vie, du mouvement. Les dessinateurs de Gruau et Aslan vont suivre au tout début des années 1950 avec non moins de talent. Mais la libération sexuelle des années 60 va peu à peu remiser au placard les pin-up trop sages de l'après-guerre. Pourtant, jusqu'à cette période, la production a été tellement conséquente que l'on peut encore aujourd'hui trouver des documents tels que journaux, huiles volantes, affiches, calendriers... à collectionner et nombreux sont les amateurs en France ou à l'étranger.

Les activités de Brenot
Dessinateur, affichiste, peintre, styliste, Brenot ne s'est jamais installé dans une seule activité. Il les a multipliées, profitant de sa formation de peintre pour donner libre cours à ses différents modes d'expression. L'illustration de presse Les premières dates de 1934, dans « Miroir du monde » Pierre-Laurent Brenot illustre un article sur la mode intitulée « Canon d'élégance, Adam et Ève en 1934 ». Après la guerre, Roger Baschet, patron de « L'illustration » lui passe une commande après avoir vu ses portraits de femmes au cabaret. Il doit exécuter les portraits des principaux comédiens, danseurs et administrateurs de la comédie française et de l'opéra pour illustrer deux articles à paraître. Ils collaborent à « Plaisir de France », une publication de luxe qui sera suivi de beaucoup d'autres. Il travaille sur un numéro spécial « Pour elle », pour « Votre beauté », « France élite »... Dès 1945, avec le Gruau et Demachy, il collabore aux magazines « Formes et couleurs » et « Plaire », chef-d'œuvre du dessin de mode en Suisse. Peu à peu, les réalisations pour la lingerie féminine l'amènent à déshabiller la femme. Il répond à la demande des journaux comme « Stras et Vedette », « Paris-Hollywood », « Paris flirt », « Cinémonde », « Le rire », « Fou rire », « la Vie parisienne »... Il tente à deux reprises, vu la popularité de ses productions dans ces périodes, de lancer lui-même sa propre revue « Brenot girls ». Sans succès.

Le stylisme
Audacieux, talentueux, il réussit au début des années 30 à se faire employer par un grand tailleur pour hommes, « Chatard », qui lui demande de créer des modèles de costumes pour son magasin « Fashionable » au 16, boulevard Montmartre. La collaboration dure neuf ans. Il est salarié et a beaucoup de temps libre, car il ne doit rendre que quatre à cinq projets par mois. Ce magasin révolutionne la mode masculine par ses chemises tapageuses et ses complets ébouriffants... Plus tard, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, Brenot sera styliste pour Balmain, hermès, Rochas, Nina Ricci, Dior, Lanvin, Saint Laurent et bien d'autres grands couturiers disparus comme Marcel Dormoy ou encore en activité aujourd'hui comme Balenciaga. Ce travail pour la mode durera une quinzaine d'années.

La publicité
C'est incontestablement l'activité où il a produit le plus de pin-up pendant 20 ans. En 1938, en collaboration avec Choiselat et Janot, Pierre-Laurent Brenot réalise un grand dépliant publicitaire pour « Fashionable ». Le dessin servira pour l'affiche, la première de sa carrière. Elle représente deux couples élégants habillés aux couleurs des cartes à jouer, dont une scène fictive de cirque. Au début de 1939, Chatard édite un grand catalogue publicitaire de 16 pages en noir et couleur dont il confie la réalisation à ses deux stylistes. Le trait du dessin est affirmé dynamique et délié, une jeune femme aux seins nus orne pour la première fois une de ces planches. La guerre de 1939 bouleverse cette vie joyeuse et insouciante. Après l'armistice, Pierre-Laurent Brenot s'installe rue de la convention à Paris dans un atelier de sculpteurs. Il me propose une illustration pour le boîtier Maniatis qui se transforme en publicité de presse tant le graphisme du dessin plaît. À partir de période, « Formes et couleurs » publie chaque mois dans ses pages publicitaires des annonces illustrées par Brenot, pour des marques de lingerie féminine, des produits de beauté et de parfums. D'autres revues emboîtent le pas comme Boucheron qui paraît dans « Regain » en 1942. À l'affût de talent nouveau, la publicité ne manque pas de solliciter Brenot. De grandes marques dans la cible principale et la femme font appel à son graphisme et son univers : les sous-vêtements Jesos, Chantal, Lou, Cornuel, Kestos, l'eau Vitelloise, les pâtes Lustucru, Bourgeois et son fameux « Rouge baiser », le chocolat Poulain, la brillantine Cadoricin, pour ne citer qu'eux. Le dessinateur a le chic pour élever le débat en donnant à ses productions commerciales un cachet particulier, une sorte de distinction étroitement liée à la marque pour l'illustrer et la rendre encore plus séduisante.

Le spectacle
À la fin des années de guerre, Brenot contacte un ami, Jean Patard, le fondateur du cabaret Molico sur les Champs Élysées et lui propose de faire le portrait des femmes qui fréquentent son cabaret. La ressemblance des portraits et la rapidité d'exécution lui assurent un succès rémunérateur et des rencontres, comme celle de Roger Baschet (voir « illustration de presse »). En 1954 Brenot est l'affichiste du Lido. Il crée l'image magique de la femme levant la jambe et de l'homme soulevant son chapeau claque : la quintessence du music-hall, une affiche devenue célèbre. Suivront Line Renaud au Casino de Paris, des affiches pour le cinéma « La mariée est trop belle », « La femme et le pantin », « Julie la rousse ». Il pouvait réaliser une affiche dans la journée.

Brenot collectionné
« Il n'existe pas d'association autour de Brenot » explique Martine Brenot, son épouse. Mais un grand nombre de collectionneurs parcourt les brocantes afin de découvrir soit des publicités, qui se vendent à la page, des glaçoïdes (présentoirs en carton recouvert d'une pellicule en plastique que l'on posait sur les comptoirs pour vanter les marques), des affiches de cinéma, de cabaret, de taule publicitaire des coupés, des calendriers, des présentoirs sur pied (ex. Hollywood de chewing-gum). « Un des grands collectionneurs est le PDG de la société autrichienne Woolford, grande marque de sous-vêtements féminins vendus dans le monde entier. Il possède une centaine d'originaux et se tient à l'affût de l'actualité de Brenot » poursuivit sa veuve. L'homme d'affaires a même négocié des droits afin de pouvoir utiliser des pin-up de Brenot. Les huiles sont collectionnées dans des proportions importantes. « Un jeune californien a fait savoir par le biais d'internet sa passion pour le dessinateur qu'il reconvertit à sa manière pour en faire sa propre œuvre d'art... D'ailleurs en 1998, un jeune styliste parisien avait demandé à Brenot de remodeler ses propres dessins : toutes les générations ont en mémoire l'œuvre de Brenot et s'y intéresse. C'est ce que nous dit le public des expositions dédiées aux œuvres de Brenot. L'art publicitaire "mineure" des années 50 et devenu un art majeur. » Une constatation qui motive Martine Brenot à vouloir transformer cette exposition déjà accueillie au musée de la publicité et en province, en une véritable exposition itinérante subventionnée par le ministère de la Culture. Initiative à suivre...

Signatures
Attention, Pierre-Laurent Brenot, de son nom d'artiste, à également signé des toiles sous son véritable nom, Raymond Brenot ou seulement Raymond ou même Pierre-Laurent, mais c'est fantaisie ne s'arrête pas là et l'on peut également trouver des œuvres sous les noms de Laurent, Raymond Berry, Brissac, Carols, Ludo...

Faux
Des marouflages (affiches collées sur toiles), retravailler en transparence avec des glacis, donne l'impression d'un travail réel d'huile sur toile, signés Brenot, circule chez les brocanteurs ils sont vendus entre 230 et 380 €.